Les chroniques de l'Andalou

Épisode 2 - Le baby shower

January 01, 2021 L'Andalou Season 1 Episode 2
Les chroniques de l'Andalou
Épisode 2 - Le baby shower
Show Notes Transcript

Un baby shower organisé en plein été, dans une maison de Ronda, en Espagne. Des femmes, des enfants et deux adolescents qui s'ennuient. Mais qu'est-ce que cet heureux mélange peut donner?


| www.leschroniquesdelandalou.com | Crédits: Texte et narration: Zak Mirando | Édition: Maryse Tremblay | Montage audio: Emiliano Mattos | Musique du générique: Al Andalus by Shane Ivers - https://www.silvermansound.com 



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Les chroniques de l'Andalou : Le baby shower

Je ne sais pas ce que je faisais là, mais une chose était certaine, je trouvais ça emmerdant à m'en jeter par la fenêtre.

L'événement qui voulait provoquer ma défenestration était un baby-shower que les femmes de ma famille avaient organisé pour l’une de mes tantes.

Donc ce jour-là, toute ces femmes étaient réunies chez ma tante pour célébrer la venue de ma future cousine.

Il y avait là ma mère, ma grand-mère, mes tantes, mes cousines, les amies de la famille et sans oublier aussi la multitude d’enfants qui couraient partout.

Le grand salon où elles étaient toutes réunies était décoré de banderoles roses et de ballons flottants de la même couleur.

Sur les tables se trouvaient des bouteilles de vins et une montagne de gâteaux.

J'étais pour ma part bien enfoncé dans un grand sofa avec mon cousin Alvaro. On assistait, en cette chaude journée d’été, à des remises de cadeaux interminables et à des conversations dont nous nous foutions carrément.

On regardait défiler bavoirs, vêtements en tout genre, chaussures de la taille d’un porte-clefs, certificats cadeaux et j’en passe et j’en passe.

Comme on était les seuls pré-adolescents mâles de la pièce, on jouait bien sûr à des jeux de pré-adolescent qui s’ennuyaient.

Cela consistait à se donner des coups de poing sur l’épaule pour voir qui frappait le plus fort, mais évidemment, cela énervait la gente féminine.

Une de mes tantes et ma mère, après nous avoir demandé de nous calmer plusieurs fois, nous ont ordonné de sortir et d’aller voir ailleurs si on y était et de revenir une fois le baby shower terminé.

En d’autres mots, on était expulsés de la maison, car elles refusaient qu'on gâche la si joyeuse fête.

On s’est donc retrouvés dehors au pire moment de la journée… Durant l’heure de la siesta

Quasiment personne dans les rues, de nombreux commerces fermés, aucun autre jeune dans le coin pour jouer une partie de football, bref rien à faire sauf la siesta ou célébrer le baby shower en se tenant bien tranquille.

On a commencé à errer dans les rues étroites de Ronda. Parfois, on sonnait à des portes que l’on sélectionnait aléatoirement juste pour le plaisir de déranger les gens.

Depuis les balcons, des dames nous criaient dessus en menaçant d’appeler la police.

Bien sûr, je pourrais parler de Ronda, le berceau de la tauromachie, de son architecture de style andalous et de sa vieille ville d’où on peut voir, au loin, des villages blancs perchés dans les montagnes.

Ses typiques  ruelles étroites espagnoles avec de superbes maisons blanchies à la chaux et aux portes en bois ornementées de clous et de verrous en cuivre.

Et surtout son magnifique vieux pont à flanc de falaise datant du 18e siècle. Pendant la guerre civile, on entassait des prisonniers dans l’arche centrale et au moment de leur exécution, ils étaient jetés du haut du pont pour s'écraser sur les rochers en contrebas.   

Mais quand tu as 12 ans et que tu crèves d’ennui, ce n’est pas vraiment l’urbanisme ou les monuments historique qui t’intéressent le plus, alors nous marchions sans savoir vraiment où aller.

Arrivés dans le quartier des boutiques et des restaurants, nous avons décidé de nous arrêter pour nous rafraîchir avec des helados, des crèmes glacées locales. 

On a pris une pause pour déguster nos cornets assis au bord d’une fontaine dont les remous nous rafraichissaient le dos.

On se moquait des bus de voyageurs qui s’arrêtaient pour déverser leurs cohortes de touristes tous équipés d’appareil photos et de leurs sacs bananes. Nos préférés qui nous faisaient pisser de rire étaient les fameux touristes allemands et leurs longues paires de chaussettes brunes qui couvraient leur tibia dans leurs magnifiques sandales en cuir.

Une fois notre observation anthropologique terminée, on a repris notre ballade.

Mon attention s’est arrêtée devant la vitrine d’une petite boucherie.

On pouvait y voir des jambons Ibericos classiques accrochés, des têtes de veau et de cochon déposées, qui semblaient nous regarder en nous demandant si on avait un problème.

Mon cousin m'a demandé, intrigué, ce qu’on faisait là :

-Il y a quoi ici ? C’est juste une bête boucherie.

Je ne lui ai pas répondu et je ne sais pas pourquoi, mais j’étais posté là en train de regarder longuement cette vitrine. Probablement l’ennui ? La faim ?

J’ai poussé la porte sans plus me poser de questions comme attiré par quelque chose.

Alvaro m'a suivi en poussant un :

-Hé, ho, hein, quoi tu rentres ?

À l’intérieur, on a été accueilli par un frigo présentoir avec différentes pièces de viande.

Juste au-dessus, d’autres jambons accrochés les uns à côté des autres pendaient du plafond.

Cela faisait du bien de se retrouver à la fraîcheur étant donné la chaleur accablante qu’il faisait dehors.

Accoudé au comptoir, se trouvait un grand bonhomme à forte corpulence qui semblait être le boucher.

Il était tellement grand et bâtit que je me disais qu’il devait lui-même abattre les animaux avec ses énormes mains. Il portait un tablier blanc sans aucune trace de sang et je me disais qu’aujourd’hui, il devait être moins occupé en massacre d’animaux.

Il regardait une petite télévision vers laquelle il pointait une télé-commande.

La chaine de télévision Television Espanola diffusait un reportage sur une saisie de drogue en provenance du Maroc.

Il nous a aperçu et il nous a demandé d’une voie forte :

- Caballeros, qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

J’ai répondu sans réfléchir:

-Pourriez-vous me donner du restant de sang s’il vous plait ?

Alvaro m’a regardé, surpris, lui qui ne comprenait vraiment pas ce qu’on faisait là et en fait, je me surprenais moi-même.

Le boucher a continué:

-Du sang ? Pour faire du boudin ? Car j’en ai ici déjà tout prêt si tu veux.

-Non il faut nous juste du vieux sang.

Il a arrêté de pointer sa télécommande vers la télé car il semblait surpris de ma réponse.

-Du vieux sang ? Pourquoi faire ?!

Mais qu’est-ce que cela pouvait lui foutre pourquoi j’en avais besoin je me disais.

J’ai prétexté que c’est ce dont ma mère avait besoin.

-Oui du vieux sang, mais je ne sais pas ce que ma mère veut en faire.

Il nous a longuement regardé, comme s’il cherchait quelque chose de louche dans ma requête.

Un drôle de silence s’était installé pendant que la télévision diffusait de la publicité.

J’entendais mon cousin grincer des dents…

Mais ensuite, le boucher a haussé les épaules pour me dire:

-Pas de problème, combien tu en veux ?

-Beaucoup monsieur !

Le boucher s’est dirigé vers sa grande planche à découper et a vidé le sang qui s’y trouvait dans un sac en plastique alimentaire.

Il m’a tendu ce qui était maintenant un gros ballon rempli de sang d'une couleur quasiment noire avec des teintes de rouge.

Je suis sorti de la boucherie avec un sourire triomphant en tenant mon sac rempli de sang.

Alvaro jubilait et me demandait en sautillant de ce qu’on allait en faire.

-On va faire quoi ?! Allez dis !

-Tu veux aller le jeter sur les voitures ?

-Ho non on va le garder pour le jeter sur la tête des touristes nudistes allemands quand on ira à la plage ! J’imagine leur gueule !

-Et pourquoi ne pas aller sur les toits et le jeter sur les passants ?

Toute ces idées étaient très bonnes mais honnêtement je ne savais pas encore pourquoi j’avais été demander du sang dans un sac en plastique en quantité si importante.

Je savais que je voulais l’utiliser pour en faire quelque chose de drôle mais j’étais agacé par mon manque d’idées originales. 

La seule piste que j'avais était de le lancer quelque part ou sur quelqu’un.

Alors on a continué notre étrange ballade dans les ruelles, équipés de notre bombe de sang.

Sans nous en rendre compte, nous étions revenus à la maison, encore à la recherche d’une cible ou de victimes de qualité.

Alvaro qui était déçu, continuait de me harceler de questions pour savoir ce qu’on allait faire, car nous savions que nous avions été bannis du baby shower et que nous étions condamnés à pourrir d’ennui.

Alors je me suis sérieusement demandé que faire...

Jeter le sac à la poubelle et les supplier de nous faire rentrer?

C’était hors de question! Alors, c’est à ce moment-là que j’ai fait ce que j’ai fait !

Je me demande encore d’où m’est venue cette idée folle – ou peut-être stupide – mais il fallait que je le fasse.

J’ai ouvert le sac contenant le sang et je l'ai porté vers moi. Je m’en suis d’abord versé un tout petit sur mon t-shirt pendant que mon cousin assistait au spectacle en écarquillant les yeux et en s’exclamant. 

-Mais t’es malade ?!

Ensuite, j’ai porté le sac au-dessus de ma tête pour en déverser le contenu sur moi. Le sang coulait abondamment sur ma tête et je sentais le flot tomber sur mes cheveux, puis s’introduire dans mes oreilles et mes narines. J’ai fermé les yeux et baissé un peu la tête en avant en prenant soin de ne pas manquer des coins de mon corps.

Une petite quantité s’était alors introduite dans ma bouche que j’avais laissé un peu entrouverte, car je respirais rapidement.

Le gout âcre de ce sang plus ou moins périmé me donnait des images morbides de cochons et d’autres bêtes qui avaient été coupés en pièces.

Mais fait surprenant, la douche était quand même agréable, car le sang avait conservé la fraicheur de la boucherie.

J’ai versé le plus rapidement possible le contenu du sac qui semblait sans fin, toujours debout dans la rue.

Une fois terminé, j’étais complètement recouvert du liquide.

De longues gouttes tombaient de mes bras ainsi que des mes vêtements et un halo de sang s’était formé autour de moi comme si quelqu’un venait de se faire éventrer.

Est-ce que j'étais fou ? C'est aussi ce que je me suis demandé en me versant tout ce sang sur la tête, mais il y avait une chose dont j'étais certain :  Une fois immaculé de sang, je ne pouvais plus reculer, car je devais compléter la seconde partie de mon plan.

Encore plus bouche bée que moi, Alvaro qui semblait ne pas en croire ses yeux, m'a regardé pousser la porte de la maison.

À l’intérieur, j’entendais les rires et les discussions des femmes et des enfants.

J'ai passé le cadre de la porte principale à genoux et pour ensuite commencer à ramper.  J’avançais très bien sur le carrelage andalou, car le sang me rendait aussi glissant qu’un poisson sorti de l’eau.

Pendant que je rampais, je voyais l'entrée du salon se rapprocher et je souhaitais que personne n'en sorte sinon ce que je tentais de faire n'aurait pas eu l’impact désiré.

Encore quelques mètres...  J’ai fait mon apparition dans le salon et la première personne qui a posé le regard sur moi était ma mère.

Elle m’a regardé rentrer à plat ventre dans la pièce, pendant que je me propulsais à l’aide de mes bras en poussant des mugissements terribles.

C’est alors que toutes les personnes présentes m’ont vu. Et alors, le silence est tombé. 

Mais cela n’a pas duré longtemps, car tel un chant strident, des cris de panique ont éclaté de toutes parts.  

Ma mère se tenait la tête tout en se tirant les cheveux, pendant qu’une de mes tantes se penchait en avant en hurlant de douleur.

Les autres femmes présentent dans la pièce ainsi que les enfants pleuraient de terreur. Les bébés hurlaient, une de mes petites cousines se bouchaient les oreilles en pleurant tout en fermant les yeux pour éviter de voir le spectacle qui l’horrifiait.

J’étais maintenant allongé sur le dos dans les bras de ma mère comme un parfait mourant. Pour en rajouter, car je ne pouvais pas en rester là, je mimais des tremblements en tentant de l’appeler maman en serrant les dents.

-Maman… Maman j’ai mal…

Pendant que ses mains parcouraient mon corps à la recherche de mes blessures, je continuais ma simulation de souffrance.

Elle ne cessait de me demander : Où es-tu blessé fils ?!  Dis-moi où ?!

Croyez-le ou non, mais je craignais qu’elle découvre rapidement que c'était un canulard, car elle était infirmière.

Une autre de mes tantes, également infirmière, m'auscultait aussi pour tenter de l’aider.

Pendant qu’elle cherchait la source de ma soi-disant blessure, je tentais de repousser leurs mains qui me chatouillaient et risquaient de me faire rire.

Je pressentais bien sûr déjà que ce genre de blague allait avoir un impact négatif et hors de mon contrôle mais je ne pouvais plus revenir en arrière.

Pour mousser le drame, j'ai poussé encore quelques cris accompagnés d’autres spasmes et de crispations.  

Mon cousin, qui avait fait son entrée dans la pièce, n’en croyant pas ses yeux.

Il me regardait, horrifié, et sans le vouloir, il était devenu une victime de mon canulard. Immédiatement, il s’est fait attraper par sa propre mère et sa grande sœur qui lui hurlaient d’expliquer ce qui s’était passé.

Le pauvre ne savait pas quoi répondre. Sa mère l’a donc empoigné pour lui administrer des coups sur la tête, mais il ne répondait toujours pas, tout en tenant de se dégager en hurlant:

- Haiiii mais je sais pas moiiiii !

Combien de temps s’était écoulé, je ne sais plus trop bien. C'est par contre à ce moment-là que j’ai décidé de mettre fin aux souffrances de mon cousin, car je voyais l’une de mes tantes qui prenait le téléphone pour appeler les urgences.

J’ai cessé mes tremblements et me suis relevé sur mes genoux d’un coup pour me tourner vers ma mère.

Je lui ai dit en souriant : Maman, ça va, je vais bien, c'est une blague !

J’ai dû lui répéter cela à quelques reprises, car son cerveau effrayé n’avait pas eu le temps d’analyser logiquement ce que je venais de lui dire.

Je répétais que c’était une blague en parlant plus fort tout en regardant également ma tante qui était aussi agenouillée, la mine complètement effarée.

-Ho ça va bien… Ce n’est pas mon sang, je ne suis pas blessé, c’est juste une blague !

Le bruit ambiant des cris de terreur des adultes a cessé abruptement et seuls les pleurs des enfants persistaient.

Ma mère, dont les larmes coulaient encore, m’a regardé sans comprendre.  Elle s'est alors essuyée le visage avec une serviette.

Elle m’a demandé tout simplement, avec une toute petite voie : - Tu… tu… tu n’as rien ?

J’ai répondu avec un rire d’adolescent abruti tout en me palpant : -Mais non c’était une blague je te dis… C’est du sang de cochon !

Elle m’a répondu en me caressant d’abord le visage avec un sourire pour ensuite poser ses mains sur mon cou : -Ha c’est bien fils….

Elle était en train de commencer à m’étrangler…

Je le lui ai fait remarquer, car pour une si petite femme, elle avait une solide poigne qui se resserrait sur ma trachée.

-Maaaman tu m’étraaangles…

Et elle m’a répondu en continuant de sourire : -Oui je sais !

Son sourire avait fait place à un regard froid de machine à tuer.

Pendant que je me faisais étrangler, ma tante, qui se trouvait juste à côté, déchaussait un de ses talons aiguilles tout en me faisant un signe du doigt pour me signifier d’attendre. Une fois sa chaussure en main, elle s’est jetée sur moi et m’a assené des coups à la tête.

D'autres femmes se sont jointes à elles pour me distribuer des coups de pieds, coups de ceintures et j’ai même vu une lampe passer.

Les cris avaient recommencé maintenant additionnés d’insultes.

Je commençais à avoir peur, car il y avait des couteaux dans la pièce.

C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que je n’avais pas inclus d’option d’auto-extraction au cas où cela se terminerait mal.

De nouveau allongé au sol où je me ramassais une pluie de coups pendant que je me faisais tirer les cheveux, je suis parvenu tant bien que mal à me retourner pour me dégager de la prise de mains de ma mère autour de mon cou.

J’ai réussi à ramper en hurlant de douleur, mais pour de vrai cette fois-ci, car en plus du reste, une de mes tantes me mordait maintenant le mollet.

Mon cousin, pour sa part, avait fui depuis longtemps en pleurant.

J’ai réussi à sortir de la pièce en me dégageant pour ensuite retrouver ma liberté une fois dans la rue.

Ma mère, qui m’avait quasiment suivi sur le pas de la porte, me hurlait de ne pas revenir sinon on allait jeter mon corps mort depuis le pont.

J’ai couru en riant tout en remarquant que j’avais laissé une de mes chaussures dans la pièce, mais pas question de retourner dans la fosse aux lionnes. J’aimais encore mieux marcher pieds nus sur les pavés brulants de Ronda.